Culture, on défriche : au Rwanda, l’art pour guérir le pays

L’art au Rwanda joue un rôle décisif dans la reconstruction du pays : il fait le lien entre passé et futur, et accomplit le devoir de mémoire indispensable à l’édification d’un futur plus sain. L’art devient alors une réponse à la question qui taraude tous les esprits suite au génocide : qu’est-ce qu’on fait après ? On témoigne. Ce travail de mémoire, il ne peut être individuel ou personnel : les œuvres collectives se multiplient, et amorcent des gestes cathartiques pour permettre au pays de faire son deuil. Décryptage de la scène artistique rwandaise, qui a transformé Kigali en laboratoire créatif et permet de réconcilier le pays.

Rwanda

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L’art pour guérir un pays

« Quand les mots viennent à manquer, l’art permet d’exprimer ce que l’on ressent ». C’est ainsi que le rôle de l’art est ressenti au Rwanda : il empêche le cercle de violence de se perpétrer, évite que les victimes ne se transforment en bourreaux, en rappelant cette mémoire commune et en s’attachant à démontrer la réciprocité des émotions entre spectateur et acteur, observateur et participant. L’art devient un espace protéger où l’on peut aborder des problématiques profondes et graves sans jugement.

La poussée de l’art post-génocide a été soutenue et encouragée par le gouvernement, qui voit dans l’art une valeur ajoutée économique non-négligeable, à travers la création d’emplois, la diversification économique… Cela explique notamment sa décision en 2006 de transformer un ancien palais royal en Musée d’Art Contemporain. Mais comment créer une collection d’art contemporain dans un pays où il y a si peu d’artistes ? Des concours annuels autour de thèmes reliés au génocide se sont développés : en 2006, le concours présentait le thème « paix et tolérance », en 2007 c’était « ne pas oublier, se souvenir ». Un autre concours, Art Rwanda-Ubuhanzi, cherche à identifier les nouveaux talents et les accompagner : des auditions nationales dans 6 catégories (Musique et danse, théâtre, arts plastiques, cinéma et photographie, littérature) permettent aux jeunes rwandais de prétendre à des bourses de 10 millions de francs rwandais.

Associations et ONG fleurissent également pour aider au développement de la scène artistique : créée en 2012, la Rwanda Arts Initiative contribue à professionnaliser l’industrie artistique à travers la formation, la production et la diffusion d’œuvres, permettant de créer une structure institutionnelle autour de la création artistique. La plateforme Never Again Rwanda (NAR) permet aux survivants d’entamer un travail de réconciliation, avec par exemple des ateliers théâtre pour les plus jeunes.

Galeries et centres communautaires se sont également développés dans les quartiers Nyamirambo, Kaciyru de Kigali : Inema Arts Center, Ivuka Arts Center, Kanyaburanga Arts center, Abien Arts Center…

L’Abien Arts Center, ou comment accompagner les jeunes femmes dans le nouvel espace artistique rwandais

Nous sommes allées à la rencontre de trois jeunes femmes artistes de l’Abien Arts Center dans le quartier de Kaciyru, à Kigali. L’Abien Arts Center, tenu par Fabien Akimana et Niyigena Zachalie. A peine sorties d’école d’art, Greta Ingabire, Ineza Ines Barbara et Diane Ishimwe nous racontent leur parcours. Toutes les trois ont grandi au Rwanda, et étudié au Lycée d’art de Gisenyi, la seule institution enseignant la discipline au Rwanda.

Si leur passion pour l’art est rapidement apparue comme une évidence, aucune des trois ne l’a immédiatement envisagée comme carrière. D’abord parce que la peur de ne pas avoir de salaire mensuel fixe bloque parents et enfants. Ensuite parce qu’il y a peu de modèles féminins auxquels se référer et entamer le pas.

Pourtant elles se sont lancées et ont de grandes ambitions pour leur art. Greta souhaite s’engager sur la voie de la thérapie par l’art, notamment auprès des établissements de santé mentale, alors qu’Inès cherche à exprimer la culture rwandaise à travers son art : pour elle, il est important que le Rwanda ait plus de visibilité sur la scène artistique mondiale. Cette conviction est partagée par toutes : l’art africain n’est pas suffisamment représenté, ni à l’international, ni au sein même du continent. Il est indispensable de mettre en lumières les artistes présents dans le pays et démontrer qu’il existe un marché qui produit au niveau national.

Pour ces jeunes artistes, le fait d’être une femme dans le domaine artistique est plutôt porteur : beaucoup d’opportunités leur sont offertes par les fondations, le gouvernement, les ONG qui cherchent à autonomiser les femmes à travers des projets artistiques spécifiques. Et comme le dit Inès, l’art au Rwanda est traditionnellement féminin, il ne fait que perpétuer des coutumes centenaires.  

Imigongo : les femmes ravivent cette tradition rwandaise

En effet, on connaît bien les œuvres traditionnelles rwandaises : ces tableaux carrés striés de formes géométriques abstraites noires, blanches ou brunes servaient de décoration dans les huttes et prennent désormais d’assaut les galeries, lobbys d’hôtels et magasins de mode.

Leur processus de création est très particulier : la matière de base est un mélange d’excréments de vache (animal sacré au Rwanda) et de cendre appliquée sur des planches en bois. On dessine des formes géométriques à l’aide de fibres de banane et de charbon, puis on fait sécher la composition pour enfin la peindre avec des couleurs blanches, noires, jaunes et rouges.

Cette tradition serait née dans les années 1880, et apprendre cet art faisait partie du processus pour devenir une femme. Cette tradition a failli disparaître avec le génocide, une grande majorité de femmes dépositaires de cet art ayant péri. Mais il a su rejaillir de ses cendres et permettre à beaucoup de femmes perdues après 1994 de recréer une communauté autour de l’Imigongo et de survivre. C’est notamment l’histoire d’une coopérative de femmes près de Kirehe qui a fait revivre cette forme d’art rwandais.

L’imigongo, donc, symbolise le rôle cicatrisant de l’art rwandais, porté par des femmes, pour resouder une population autour de sa culture commune.

Imigongo

@Yulia Denisyuk

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