Rand Taha, la résilience par la danse

Rand Taha crée des espaces de joie, d’expression et de guérison – à travers la danse. Danseuse classique et contemporaine, elle est la cofondatrice de Studio Collective, une communauté de danseuses et danseurs palestiniens. Qu’elle enseigne la danse et le Pilates aux enfants comme aux adultes, qu’elle se produise sur scène ou qu’elle développe des espaces inclusifs avec Studio Collective et El Studio, Rand redéfinit ce que signifie être artiste en Palestine.

Je suis née et j’ai grandi à Jérusalem. Mes racines remontent à la Vieille Ville, et y avoir grandi a profondément façonné la personne que je suis aujourd’hui, en tant qu’individu et en tant que danseuse. Mon lien à cet endroit n’est pas seulement émotionnel, il est physique, incarné dans chacun de mes mouvements, que ce soit sur scène ou en studio.

Depuis mon plus jeune âge, j’ai été attirée par la danse. J’ai commencé par le ballet - le seul style disponible à l’époque - et je me suis immédiatement sentie chez moi dans le studio. Très vite, j’ai compris que ce n’était pas un simple passe-temps : je voulais en faire mon métier. Dans un pays où les arts sont souvent considérés comme précaires ou peu valorisés, j’ai eu la chance d’avoir le soutien de ma famille. Mon père, ancien éditeur d’un journal palestinien et poète dans l’âme, m’a encouragée à suivre ma voie artistique. Ma mère, issue des sciences de laboratoire, avait un regard différent sur le monde, mais elle m’a toujours soutenue avec la même conviction.

Construire une carrière dans la danse

Déterminée à faire de la danse mon métier, j’ai poursuivi une licence en danse à Jérusalem - l’unique programme de ce type dans la ville. Cette décision a marqué le début d’un parcours jalonné de nombreux projets, spectacles et cours, destinés aussi bien aux enfants qu’aux adultes. J’ai souvent dû cumuler plusieurs emplois pour m’en sortir, mais la danse est toujours restée mon étoile polaire.

Ces dernières années, j’ai approfondi ma pratique de nouvelles façons. Il y a deux ans, je suis devenue instructrice certifiée de Pilates. Bien que distincte de la danse, cette discipline est une extension naturelle de ma relation au corps. Elle complète ma formation et m’offre un autre moyen de connecter avec les gens par le mouvement.

Studio Collective : une communauté de danse palestinienne

L’année dernière, j’ai cofondé Studio Collective, une initiative qui vise à faire grandir la danse contemporaine en Palestine. Notre ambition est d’encourager la collaboration entre différentes disciplines, avec la danse comme fil conducteur. Dès sa première année de création, nous avons monté six spectacles et animé plusieurs ateliers. Mais tout a basculé avec le début de la guerre : les événements publics ont été annulés ou fortement limités. Alors, nous avons recentré notre action. Les ateliers sont devenus notre principal moyen d’expression, de guérison et de lien. En cette période de fragmentation, créer un espace pour bouger, ressentir et partager est devenu un acte puissant de résilience.

En parallèle, j’ai commencé à diriger El Studio à Ramallah - un lieu à mi-chemin entre entreprise et espace communautaire. Il s’adresse avant tout à des clients venus pour le Pilates, mais il est vite devenu un lieu de création. J’y propose parfois des ateliers de danse avec Studio Collective. Ces deux projets sont différents, mais profondément connectés : l’un favorise le bien-être à travers l’entrepreneuriat et la communauté ; l’autre préserve la culture par la collaboration et la persévérance.

À l’avenir, j’espère développer les deux. Je souhaite qu’El Studio devienne un centre où notre communauté - femmes, hommes, danseurs, artistes - puisse se retrouver. Je veux que Studio Collective continue à voyager à travers la Palestine, promouvant la danse contemporaine à de nouveaux publics. Peu à peu, nous construisons cet avenir.

Être danseuse en Palestine

Être danseuse en Palestine, c’est devoir constamment s’adapter. Notre communauté est restreinte, et de nombreux artistes finissent par partir. Mais ceux qui restent sont profondément engagés. Grâce à Studio Collective, nous avons tissé des liens avec des danseurs de Jérusalem, du nord et d’ailleurs en Palestine - des personnes qui partagent nos valeurs et notre vision. Ce n’est pas facile. Une grande partie de notre travail est bénévole ou insuffisamment financé. Mais il est essentiel. Créer, se produire, maintenir des espaces de création : c’est ainsi que nous restons présent.e.s. C’est ainsi que nous résistons.

Être une femme dans ce milieu n’a pas été sans obstacles. Mais j’ai aussi eu la chance d’être soutenue. L’appui que j’ai reçu chez moi m’a donné la force de tenir bon face aux jugements et aux attentes sociales. Cela dit, se faire accepter - par sa famille, ses amis, son partenaire - reste un processus en constante évolution. Ceci dit, les hommes danseurs rencontrent souvent une résistance encore plus marquée dans notre société, en raison de normes de genre parfois un peu rigides. Mais pour les uns comme pour les autres, choisir la danse comme métier en Palestine demande une vraie détermination - et beaucoup de courage.

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