Madeleine Edmée Berre, celle que rien n’arrête

Madeleine Edmée Berre a un parcours plutôt atypique. Juriste de formation, elle a derrière elle une longue expérience dans le conseil avec 10 ans chez PwC et 13 années chez Deloitte où elle atteint le poste de directrice générale. En 2013, elle devient la première femme élue à la tête de la Confédération Patronale Gabonaise, représentant plus de 350 entreprises. En 2015, elle est débauchée par l’Etat pour occuper le poste de Ministre du Commerce alors qu’elle n’a jusque-là jamais exercé dans le secteur public. Un rôle qu’elle honore avec brio, reconduite d’année en année depuis maintenant 4 ans. Elle est aujourd’hui à la tête du Ministère de l’Emploi, de la Fonction Publique, du Travail , de la Formation Professionnelle, chargée du Dialogue Social.

@African Shapers

Gabon

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Être une femme a-t-il joué un rôle particulier dans votre carrière ?

Non, je ne pense pas. J’ai toujours capitalisé sur ma compétence et ma rigueur. J’ai toujours milité pour le travail bien fait, la rigueur et le professionnalisme et je pense que le genre n’a rien à faire là-dedans. Une femme, au même titre qu’un homme, est capable d’endosser de grandes responsabilités. Et je suis convaincue que femmes et hommes sont complémentaires. J’ai du mal à dire si le management féminin diffère de celui d’un homme, mais peut-être qu’une femme mettra plus d’affect dans ses fonctions. Pour autant, cela ne signifie pas qu’une femme sera moins exigeante. De par mon passé de consultante, j’ai toujours été formée à être exigeante avec moi-même et avec les autres.

Je n’avais jamais pris conscience qu’être une femme pouvait être un frein. Je ne m’en suis rendue compte que lors de mes deux grossesses successives chez PwC qui ont ralenti, voire stoppé l’évolution de ma carrière. Et pourtant, je n’ai jamais laissé percevoir un quelconque signe de fatigue au travail. C’est un frein que je n’ai pas supporté et qui m’a fait quitter l’entreprise. Chez Deloitte, je suis repartie à zéro et c’était difficile, j’étais mère de 3 enfants de 8 ans, 2 ans et 9 mois. Certaines femmes cessent de travailler dès lors qu’elles tombent enceintes, sans même qu’on le leur impose, décidant de se censurer par peur de ne pas être performantes. Je ne crois pas qu’une grossesse doive être une entrave à la carrière : un enfant, c’est dans le ventre, pas dans la tête. Avec trois enfants, j’ai toujours réussi à sécuriser ma famille et ma carrière, je n’ai jamais sacrifié l’un ou l’autre, même si l’exercice n’était pas évident.

Je pense qu’on manque de modèles féminins. J’aimerais qu’on banalise les femmes aux postes décisionnels, et qu’elles ne soient pas perçues comme des amazones qui ont du braver des obstacles pour y arriver. Ce n’est pas toujours facile d’assumer le regard des autres : on est taxée d’être trop carriériste, trop ambitieuse, comme si c’était une tare et négatif. Il faut arrêter de censurer les femmes, et qu’elles-mêmes s’autocensurent.

Comment conciliez-vous votre vie professionnelle et votre vie personnelle ?

J’ai moi-même eu une mère hyperactive et qui a eu une grande carrière professionnelle et politique, ça ne m’a jamais éloignée d’elle. Quand j’ai eu mes deux autres enfants, j’ai développé tout un système de soutien. Mon mari était en première ligne et j’ai eu la chance qu’il me soutienne énormément tout au long de ma carrière. Mais nous nous sommes également entourés d’aides. Et puis j’ai commencé à réorganiser mon travail : prendre les vacances en même temps que les enfants, rentrer tôt pour reprendre le travail plus tard dans la soirée, etc. On a toujours le cerveau entre sa sphère familiale et sa sphère professionnelle, c’est une charge mentale incroyable.

Et bien sûr, il y a toujours cette part de culpabilité. Quand ton enfant est malade, tu prends la mesure de la difficulté d’être une femme, en tant que conseil juridique, dans un conseil d’administration avec la difficulté de se libérer pour accompagner son fils en urgence chez le médecin. Il y a des fois où l’on se sent mauvaise mère, mauvaise épouse. Mais il ne faut pas oublier qu’une mère n’est pas le seul parent ! Personnellement, j’ai eu la chance que mon couple soit solidaire. Être en lutte avec son mari, ça peut faire perdre confiance.

Avec mes positions ministérielles, j’ai aussi appris à faire la part des choses : je ne reçois jamais politiquement chez moi. Je ne viole pas notre intimité. Etant moi-même fille d’une femme politique, j’ai souvent souffert de cette invasion au sein de la maison familiale et je n’ai pas voulu l’imposer à mes enfants. Nous réussissons malgré les circonstances à être une famille très posée et unie qui ne manque pas de prendre les repas ensemble.

Aviez-vous un plan de carrière bien défini ?

Je n’ai jamais eu de plan de carrière, je voulais simplement bien faire mon travail et réussir. J’ai toujours été rigoureuse et j’ai évolué dans le milieu du conseil où il s’agit d’une qualité intrinsèque au métier. J’ai toujours avancé par la qualité de mon travail dans une hiérarchie qui était bien claire et définie. En revanche, je n’aurais jamais pu prévoir que je serais choisie puis élue Présidente de la Confédération Patronale Gabonaise puis nommée Ministre !

Aujourd’hui, j’estime que j’ai entamé une toute nouvelle carrière, que je mènerais jusqu’à sa fin. La politique, parce qu’elle fonctionne par nomination, n’a pas la rationalité que l’on a dans le privé. En politique, on est en émulation permanente. La concurrence est accrue et je suis plutôt de ceux qui évitent les coups pour avancer. C’est un autre monde, un monde rude mais tout aussi passionnant. Il faut être aguerrie et travailler dur. Ma responsabilité s’est décuplée, c’est tout un peuple qui vous regarde, et non les salariés d’une entreprise ou des clients, et je m’évertue à honorer la confiance accordée par les plus hautes autorités de mon pays.

Quels seraient vos conseils aux jeunes femmes ?

Restez vous-mêmes, faites votre travail et ne cédez jamais aux sillons de la séduction qu’on peut parfois voir en entreprise ou dans le milieu professionnel. On ne réussit pas avec son sourire mais avec ses compétences. Ayez la rigueur du travail bien fait et soyez jugées pour votre professionnalisme plutôt que pour votre genre. Soyez éthiques avant tout.

Les femmes sont minoritaires dans les postes décisionnels, il faut tout simplement lutter. Toutes les femmes qui réussissent ont un point commun : détermination et confiance en elles. Lorsqu’une femme prend la parole, la première chose que l’on voit en elle c’est sa féminité, il faut passer cette étape et faire parler la compétence. Travaillez deux fois plus pour être reconnues.

Et je le répète, une grossesse n’est pas un facteur de non-productivité : un enfant, c’est dans le ventre, pas dans la tête. Apprenez à jouer les équilibristes entre travail et famille, entre stress et détente. Ne donnez pas l’impression de trop courir, cela pourra vous desservir. Organisez votre maison, soyez méthodologiques. Sans le socle familial, vous ne pourrez pas résister aux chocs de l’environnement professionnel.

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