Kenya : Le B.A.-BA

Un proverbe kényan dit : "quand les femmes endormies se réveilleront, elles déplaceront des montagnes". Le Kenya, 9ème économie du continent africain, s'appuie sur la technologie et l'innovation pour se propulser sur la scène internationale. Ces avancées s'accompagnent d'une position nouvelle pour la femme, qui utilise les nouveaux outils à sa disposition pour lutter contre ses vieux démons (prostitution, manque d'accès aux financements et à l'éducation) et secouer le pays.

Kenya

〰️

Kenya 〰️

Politique

La constitution de 2010 prévoit que le nombre d’hommes députés n’excède pas les 2/3. Seulement en 2019, on est toujours à 21,8% de femmes à l’Assemblée Nationale. Des textes visant à rendre les chambres conformes à la Constitution ont été proposés 3 fois depuis 2010, mais aucun n’est passé faute de suffisamment de parlementaires présents : le Parlement pourrait être en théorie dissous pour non-conformité.

Plus encore, aucune mesure favorable aux femmes n’a été mise en place (les députées attendent encore l’ouverture d’une crèche annoncée en 2013). En août 2019, la députée Zuleika Hassan a été expulsée de la Chambre des représentants après s’être présentée avec son bébé.

Il y a urgence à lutter contre les préjugés associés aux femmes en politique. Lors des primaires d’Avril 2017, des femmes candidates aux sièges de députés ont été violemment agressées et intimidées. Les femmes sont donc moins à même de mener à terme leur candidature : le coût de leurs campagnes électorales flambe avec les gardes-du-corps et les hôtels surveillés. Cet environnement peu productif pour les femmes a des conséquences sur la politique qu’elles mènent : beaucoup ressentent le besoin de s’allier avec des collègues masculins pour réduire les réticences contre leur candidature.

Le manque de femmes au Parlement se retranscrit également dans les lois votées. En 2014, le Parlement a légalisé la polygamie : les hommes peuvent épouser autant de femmes qu’ils le souhaitent sans en informer leur première épouse. Malgré la fureur des députées kényanes, la loi a été votée avec la suppression de l’amendement qu’elles avaient proposé pour que les épouses puissent s’opposer à la décision de leur mari.

Une émission devrait être lancée dans l’année pour prouver aux kényans qu’une femme peut devenir présidente : « Miss President », sur 26 épisodes, testera des femmes sur leur rhétorique et leur capacité à lutter contre la corruption et l’insécurité, jusqu’au dernier épisode où la gagnante sera élue Miss présidente.

Economie

De nos jours, 66% de la population de Nairobi vit dans les bidonvilles et 80% de ses actifs vit de l’économie informelle. On compte notamment, parmi les 7,41 millions de PME et micro-entreprises existantes au Kenya en 2016, 5,85 millions d’entreprises informelles. Et 60% de celles-ci sont gérées par des femmes. En effet, les hommes ont deux fois plus de chances d’obtenir des emplois stables que les femmes.

Cela s’explique notamment par les lois coutumières, qui poussent les femmes vers les secteurs informels. En effet, en 1882, malgré la mise en place de lois protégeant les droits des femmes, par exemple le Married Women’s Property Act qui donne des droits de propriété aux femmes, la Constitution admet que celles qui sont considérées comme membres d’une « race ou tribu particulière » ne sont pas concernées et passent sous la coupole des lois coutumières. En conséquence, certaines femmes sont empêchées d’accéder à des biens, des terres, qui pourraient servir de collatéral pour un prêt bancaire.

Pourtant, les femmes jouaient à l’ère précoloniale un rôle de première importance dans l’économie. Elles participaient à la production agricole et contribuaient aux revenus du ménage à parts égales. Le colonialisme a modifié cet ordre et introduit la dépendance économique des femmes vis-à-vis des hommes, notamment à travers le Plan Swynnerton de 1954, qui en enregistrant les terres aux noms des maris, a changé les droits de la femme à la terre.

Ces changements ont des conséquences dramatiques : le Centre International de Recherches sur les Femmes établissait un écart significatif entre les taux de violence domestique contre des femmes qui possédaient des terres, par rapport à celles qui n’en possédaient pas. 49% des femmes sans propriété avaient déjà été victimes de violence de la part de leur partenaire ou d’un membre de la famille, contre 7% pour les femmes possédant des terres ou une maison.

Une autre des conséquences directes se retrouve dans le manque d’accès à des moyens de financement pour les femmes, par manque de collatéral. Cependant, le gouvernement a beaucoup œuvré pour mettre en place des systèmes d’emprunt adaptés aux femmes avec peu de moyens. En plus des organismes de microfinance tels que le Kenyan Women Finance Trust, des dispositifs de « table finance » ont vu le jour avec des organisations comme Joyful Women Organization : des groupes de femmes se réunissent autour d’une table sur laquelle elles déposent leur argent, qui peut être emprunté immédiatement par certaines d’entre elles pour des projets tels que la culture sous serre, l’aviculture ou l’horticulture.[1]

Une autre opportunité pour les femmes réside également dans l’économie bleue, le nouvel eldorado pour le Kenya. Lors de la conférence sur l’économie bleue durable tenue à Nairobi en novembre 2018, on estimait qu’exploiter les ressources des mers et océans pouvait contribuer à l’économie mondiale à hauteur de 1,5 milliards de dollars. Cependant, elles deviennent prisonnières de pratiques de harcèlement spécifiques à ce secteur. Par exemple, aux abords du lac Victoria, la pratique du « fish for sex » est largement répandue : elle consiste pour des femmes en situation précaire à accepter d’avoir des relations sexuelles avec des pêcheurs en échange de taux préférentiels pour la pêche du jour. On appelle ça le système Jaboya, et il touche les jeunes filles, les femmes divorcées, les veuves… Et des recherches ont notamment établi un lien entre cette pratique et les taux de SIDA surélevés dans la région du lac (le double de la moyenne nationale), surtout dans les communautés de pêche où le taux avoisine 25-30% (dans la province de Nyanza très exactement).

Culture

Les femmes reconquièrent peu à peu le secteur culturel, en transformant leur vie quotidienne en scène artistique. Un exemple : l’initiative de Sarah Mumbi, Tsara Arts, qui utilise les matatus (transports en commun lourdement décorés), outil de design graphique aux références principalement masculines, pour mettre en avant les histoires de femmes et de filles. On voit désormais se balader des bus aux effigies de Wangari Mathai, Lupita Nyong’o, de la première dame du Kenya, etc.

L’art s’est désormais inflitré dans toutes les couches de la population féminine. S’il est reconnu mondialement par des expositions consacrées aux femmes artistes kényanes, il concerne aussi les femmes avec peu de moyens. De plus en plus de groupes capitalisent ainsi sur les opportunités présentes dans le domaine de l’art et la culture : l’artisanat est devenu l’apanage des femmes, mettant en avant des pratiques ancestrales.

Education

Le taux de scolarisation en école primaire est élevé au Kenya. Le pays a un score de 1,04 au classement du Forum Economique Mondial qui mesure les disparités fille-garçon en termes d’éducation en ce qui concerne le primaire. En revanche le score tombe à 0,9 pour le secondaire (123ème place mondiale). Si l’école primaire est gratuite depuis 2003 au Kenya, et a permis d’augmenter sensiblement le taux de scolarisation des enfants, les filles souffrent d’un biais genré et ont un taux de scolarisation bien inférieur à celui des garçons.

Un premier facteur inclue le coût du matériel scolaire que doivent supporter les familles. Les ménages avec peu de revenus, lorsqu’ils ne peuvent pas se permettre d’envoyer tous leurs enfants à l’école, choisissent de former leur garçon plutôt que leur fille, arguant que leur fille quittera ses parents une fois mariée, et qu’en conséquence son éducation ne bénéficiera qu’à ses beaux-parents. Ainsi, les filles sont mariées plus tôt : 50% le sont avant leurs 18 ans.

Les distances trop importantes entre leur domicile et l’école empêchent également les jeunes filles de mener à bien leur scolarisation. Des études montraient que le problème était plus ou moins important selon le comté. Dans le comté de Baringo, ¾ des enfants doivent marcher 1 à 3 kilomètres pour aller à l’école. Dans le Kajiado, 26% doivent marcher plus de 5km. Alors que les garçons peuvent loger dans des auberges plus proches de leur école, les filles n’y sont pas culturellement autorisées, et abandonnent leurs études.

Une autre raison au faible taux de scolarisation des filles est le nombre élevé de grossesses précoces : on estime que 13 000 filles quittent l’école à cause de grossesses précoces en 2008-2009.

Sexualité

Elle prend plusieurs formes au Kenya. Une première forme se trouve dans la prostitution enfantine. Une étude menée par l’UNICEF démontrait que 30% des enfants entre 12 et 18 ans dans les régions côtières étaient engagés dans une forme de prostitution. Seulement 40% des clients sont des kényans, les autres sont une majorité d’Italiens (18%), Allemands (14%) et Suisses (12%). Les enfants doivent fournir des prestations sexuelles aux kényans travaillant dans les hôtels et les bars pour avoir le droit d’accéder aux touristes.

La prostitution tend cependant à prendre d’autres formes, plus sournoises, avec le développement des ‘sugar daddy’ et la culture du sponsoring. De plus en plus de jeunes filles monnayent leur jeunesse et leur beauté auprès d’hommes plus âgés en échange d’un confort financier sur le long terme. Dans une étude menée par BBC Africa auprès de 252 jeunes femmes universitaires entre 18 et 24 ans, il s’avérait que 20% d’entre elles avaient un « sponsor ».

Conséquence directe de la prévalence de la prostitution : le SIDA. Le Kenya est l’un des pays les plus touchés par cette maladie. En 2018, on comptait 1,6 millions de personnes atteintes du SIDA (environ 5,9% de la population), 25 000 décès liés à la maladie. Et les prostituées sont les premières concernées : 30% d’entre elles seraient séropositives, notamment par peur de perdre des clients en utilisant des préservatifs. Beaucoup ne se font pas tester, car la transmission de la maladie a été pénalisée.

Autre problématique de santé : 65% de femmes et jeunes filles au Kenya n’ont pas les moyens d’acheter des serviettes hygiéniques. Plus inquiétant, 2 utilisatrices sur 3 de serviettes hygiéniques les reçoivent de leur partenaire sexuel, créant un lien de dépendance. Les tabous sont encore nombreux à propos des règles : par exemple, la communauté Masai interdit aux femmes en période menstruelle de traire les vaches ou pénétrer les étables des chèvres de peur qu’elles ne contaminent les animaux. Des programmes se sont donc développés pour apporter des protections menstruelles aux jeunes filles, comme celui de Girl Child Network qui forme les professeurs à l’accompagnement des enfants dans la puberté.

Finalement, les mutilations génitales sont une pratique encore très commune : en 1998, 40% des femmes kényanes étaient excisées. Le pourcentage est tombé à 32% en 2003. Pendant l’ère coloniale, une campagne contre les mutilations génitales féminines (FGM) a été menée par des missionnaires britanniques. Une résistance farouche de la part de certaines tribus, dont les Kikuyu, a transformé les FGM en symbole du mouvement d’indépendance contre le régime colonial britannique. Les FGM devenaient un test de loyauté : envers les églises chrétiennes ou envers les Kikuyu.

Précédent
Précédent

Rwanda : Le B.A.-BA

Suivant
Suivant

Egypte : Le B.A.-BA