Dr Fatma Genoune, présidente de la ligue sénégalaise contre le cancer

« Est-ce que vous saviez qu’au Sénégal, 80% des femmes diagnostiquées d’un cancer gynécologique en meurent ? » Une introduction efficace pour comprendre le combat du Dr Fatma Guenoune, Présidente de la Ligue contre le Cancer (LISCA). « Maman Rose », comme on l’appelle, est spécialiste des pathologies cervico-vaginales, et fait entendre sa cause avec ferveur. Elle est à l’origine d’Octobre Rose, campagne de sensibilisation annuelle soutenue par l’ancienne première dame Viviane Wade et qui permet chaque année de dépister des milliers de femmes des cancers du sein et du col de l’utérus ; et de financer du matériel de cryothérapie pour les hôpitaux ruraux. Fatma Guenoune, une femme qui donne envie de s’engager, et qui nous donne quelques conseils pour la route, parmi lesquels : « palpez-vous les seins tous les mois ! ».

Sénégal

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Les cadeaux d’une mère visionnaire

Je suis née d’un père marocain et d’une mère sénégalo-libanaise, dans un beau brassage multiculturel. Mon père est décédé quand j’étais très jeune, c’est donc ma mère qui nous a élevés seuls, mes 7 sœurs, mon frère et moi. C’était une femme avec beaucoup de valeurs dont j’espère avoir hérité. A la mort de mon père, elle s’est battue pour être capable de nous élever dans de bonnes conditions, elle a enchaîné les petits boulots : de la teinture, de la peinture, de la couture, de la restauration. Elle n’était jamais allée à l’école, mais elle tenait à ce que nous étudions.

Pour elle, une femme devait être indépendante – c’était son leitmotiv. Il fallait à tout prix avoir un métier. Ses enfants sont donc devenus ingénieur, architecte, couturière de haut niveau, infirmière… Pour ma part, j’ai choisi le métier de médecin. J’ai fait un cursus en médecine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, jusqu’à obtenir mon doctorat, avec une thèse sur les facteurs de risque du cancer du col de l’utérus. Je m’étais orientée vers ce sujet par pur hasard, au fur et à mesure de mes rencontres, et par chance ça m’a passionnée : j’ai enchaîné avec une spécialisation en colposcopie et pathologies cervico-vaginales à l’Université de Paris Diderot.

Les pathologies cervico-vaginales : une spécialisation révélatrice

On m’a ensuite proposé un poste à Belfort, mais l’appel du pays s’est fait sentir : je me disais que j’aurais plus d’impact au Sénégal où il y avait un manque cruel de spécialistes dans le domaine. Notamment au vu des chiffres sur le cancer gynécologique : 20% des femmes sénégalaises diagnostiquées en mourraient. Je suis donc rentrée au Sénégal, d’abord pour travailler sur des programmes de vaccination de l’OMS : je sillonnais le pays, j’enquêtais pour vérifier que les enfants étaient bien vaccinés, je faisais de la sensibilisation. J’ai également travaillé sur l’acceptabilité du préservatif féminin au Sénégal, notamment à Kaolack et à Kolda. Pour cela, nous avons entamé un dialogue avec des groupes prostituées clandestines, pour mieux comprendre leur utilisation du fémidon (préservatif féminin) que nous leur fournissions. Grâce à notre action, son utilisation a beaucoup augmenté dans le pays, il est même distribué lors de consultations du planning familial.

J’ai ensuite rejoint l’Institut du Cancer de l’Hôpital Le Dantec de Dakar, dans le service de dépistage des lésions précancéreuses. A cette époque, j’ai voulu m’investir plus largement au niveau associatif, comme je l’avais fait pendant mes études (j’avais créé avec des camarades l’association des médecins de brousses). En en discutant autour de moi, j’ai découvert qu’une Ligue de Lutte contre le Cancer existait déjà mais était en état de mort cérébrale : avec d’autres médecins, nous avons pris la décision de la relancer.

La Ligue Sénégalaise contre le Cancer

Le cancer du col de l’utérus étant le premier type de cancer au Sénégal pour les femmes, et le cancer du sein le second, nous avions du travail. Les femmes qui venaient nous voir arrivaient à des stades très avancés de la maladie, on ne pouvait rien faire sinon les accompagner vers la mort. Ça nous a poussés à faire de la sensibilisation et du dépistage : au Sénégal, les femmes ne connaissaient pas les signes avant-coureur du cancer, ni les gestes qui sauvent. Nous avons organisé des campagnes de sensibilisation à travers tout le pays. Nous avons également créé Octobre Rose (dont on fête le 10ème anniversaire cette année), pour permettre aux femmes de se faire dépister grâce à une mammographie subventionnée. A la fois le secteur privé et le public ont contribué à l’initiative, les cliniques privées en consentant à réduire le coût des examens à 30 000 francs (45€), les entreprises en finançant 50% de ce coût ou en achetant du matériel. Nous avions le soutien de la première dame Viviane Wade pour l’organisation d’un téléthon ; et chaque ministère a subventionné 100 femmes atteintes du cancer en 2014.

Le reste de l’année, nous organisons des consultations de dépistage. Pour le cancer du col de l’utérus, une technique validée par l’OMS permet de faire du dépistage de masse : c’est l’inspection visuelle à l’acide acétique et au Lugol, suivie d’un traitement par la cryothérapie. Chaque fois que nous nous rendons dans une région, nous dotons les hôpitaux locaux d’appareils de cryothérapie.  

Je suis très fière de ce parcours, et je peux dire que je réalise la mission première de la médecine : aider son prochain. Et s’il y a une chose qui m’a aidée à en arriver là, c’est la persévérance. Bon courage !

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