Colette Lewiner, pionnière du secteur énergétique français

Colette Lewiner est l’un des grands noms du secteur énergétique en France. Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure et agrégée de Physique, Colette Lewiner fut la première femme au comité de direction d’EDF puis de Cogema (aujourd’hui connu sous le nom d’Areva). Elle fut également la créatrice du département Energy & Utilities de Capgemini qui représente aujourd’hui plus de 10% du chiffre d’affaires du cabinet. Travailleuse insatiable, Colette Lewiner multiplie désormais les conseils d’administration (EDF, Bouygues, Colas, CGG, Getlink, etc.) et demeure une experte de référence pour des projets critiques tels que l’acquisition de Framatome par EDF. Un parcours hors-normes, riche en anecdotes et en leçons !

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De l’Egypte à l’Ecole Normale Supérieure

J’ai vécu en Egypte jusqu’à l’âge de 11 ans. Ma famille a dû fuir le pays pendant la Guerre de Suez en 1956 pour venir s’installer en France. Malgré le déchirement de quitter mon lycée et mes amis, j’ai fait preuve d’une grande capacité d’adaptation et j’ai passé mon baccalauréat scientifique avec brio : un grand soulagement et une immense fierté pour mes parents. Mes professeurs ont toujours joué un grand rôle dans ma réussite et c’est en grande partie grâce à eux que je me suis dirigée vers les classes préparatoires des grandes Ecoles scientifiques.

J’ai été reçue à l’Ecole Normale Supérieure, alors réputée comme la meilleure école scientifique pour les femmes. Polytechnique n’était pas encore ouvert aux femmes à l’époque. Nous étions très peu nombreuses et c’est toujours le cas aujourd’hui. J’ai passé l’agrégation de physique lors de l’année 1968. J’ai été frappée par l’idéalisme qui animait les femmes : nous étions à toutes les manifestations et voulions même boycotter les épreuves (ce que nous n’avons finalement pas fait). Pendant ce temps, les garçons bachotaient leurs examens. !

Je voulais faire de la recherche et de l’enseignement supérieur, ma carrière était tracée. J’ai commencé à enseigner à la rentrée de 1968 à Paris VII. Les étudiants étaient extrêmement motivés et c’était très stimulant. Ils voulaient bien apprendre et n’hésitaient pas à remettre en question les méthodes pédagogiques. L’idéologie de l’époque c’était le travail collectif mais j’ai également tenu à valoriser le travail individuel, et cela a porté ses fruits je pense.

J’ai soutenu une thèse. Les femmes se faisaient de plus en plus rares à ce niveau. La recherche est très élitiste et il faut être capable de publier dans les meilleurs journaux pour espérer devenir maître de conférence. Avoir des enfants ne facilite pas la chose. Le jour de la soutenance de ma thèse, ma fille aînée, âgée de trois mois, était malade pour la première fois. J’ai évidemment beaucoup pensé à elle ce jour-là, surtout que le médecin m’avait expliqué que j’étais fautive si elle était malade !

Après ma thèse, j’ai fait plusieurs années de recherche théorique.

Première femme au comité de direction d’EDF puis chez Cogema

L’un de mes camarades normaliens travaillait chez EDF depuis quelques années et il cherchait une femme pour le remplacer. Assez naturellement, il a pensé à moi. Il s’agissait d’un poste dans le département recherche et développement d’EDF, sur des sujets liés à la production d’électricité (énergies renouvelables et nucléaire) et au développement des usages. J’ai décidé de tenter l’aventure. Les horaires de travail étaient beaucoup plus contraignants que dans la recherche. J’avais trois enfants, j’ai dû m’organiser. Petit à petit, j’ai gravi les échelons chez EDF. Cela n’a pas toujours été simple ! Pour le poste d’achat d’uranium (EDF est le premier acheteur mondial d’uranium à la base du combustible nucléaire), on ne pensait pas une femme capable de négocier face à des hommes. Chose étonnante, on craint souvent que les femmes ne tiennent pas le coup. J’avais pourtant un avantage : j’avais pour ma part déjà négocié avec des hommes, eux n’avaient jamais négocié avec des femmes ! Après plusieurs années de carrière chez EDF, je suis devenue la première femme au comité de direction en créant la direction de développement et stratégie Commerciale. C’est chez EDF que j’ai appris les fondamentaux de l’énergie qui m’accompagnent encore aujourd’hui.

Lors d’un cocktail, j’ai rencontré le patron de Cogema (aujourd’hui connu sous le nom d’Areva) qui m’a proposé de prendre la direction de la filiale d’ingénierie. L’enjeu du poste était de trouver des relais de croissances. Souhaitant diriger une Entreprise, j’ai accepté. La culture d’entreprise y était bien différente mais le fond de ma mission restait le même : développer quelque chose de nouveau et changer la culture d’entreprise.  C’était un défi de taille : j’avais 9000 personnes sous ma responsabilité et certains gros projets allaient se terminer en France. Je ne voulais pas avoir à réduire le nombre de collaborateurs ; nous nous sommes donc lancés avec succès à l’international.

Il n’est pas commun d’être une femme dans le secteur nucléaire, et les anecdotes ne manquent pas ! L’une d’elle m’a particulièrement marquée : nous construisions une usine au Japon où je me rendais donc régulièrement. Je m’étais rendue compte que mon interprète parlait bien plus longuement par rapport à mon temps de parole. Lorsque je lui ai demandé la raison de ce décalage, il m’a expliqué que la coutume voulait qu’il commence d’abord par m’excuser le fait d’être une femme…

Lors de mes années à Cogema, un site nucléaire à l’Ouest des Etats-Unis avait des fuites de déchets radioactifs. Ces déchets très toxiques étaient mal gérés, stockés dans des conteneurs qui risquaient de fuir et de contaminer le fleuve proche. La France disposait d’une technologie unique de vitrification de ces déchets afin qu’ils soient confinés. Il y avait là pour Cogema une opportunité de projet important mais comportant certains risques et mon actionnaire principal était hésitant. Finalement, nous avons signé un partenariat avec une grande société d’ingénierie américaine et nous avons remporté ce contrat exceptionnel. Je me suis battue en interne pour remporter ce contrat et cela ne m’a pas créé que des amis. Je crois que malgré ce très important succès, il a scellé mon départ ! Je pense que les femmes sont sincères et convaincues lorsqu’elles prennent une décision qui leur paraît juste. Malheureusement, il est parfois nécessaire de s’adapter à des contraintes « politiques ».

Des grands groupes industriels au monde du conseil

J’ai rapidement trouvé un nouveau travail chez Capgemini, un cabinet de conseil et de services informatiques réputé. Je me suis retrouvée confrontée à une culture d’entreprise bien différente : une hiérarchie moins marquée et très souple, un style de management beaucoup plus soft et collaboratif, une force de conviction à développer pour convaincre ses collaborateurs, etc. Encore une fois, j’ai créé une nouvelle unité au sein de l’entreprise prenant en charge le secteur de l’électricité, pétrole, gaz et chimie. Ce secteur générait 4% du chiffre d’affaires du Groupe à mon arrivée, il s’élevait à 11% à mon départ. En 2012, alors que j’avais atteint un âge respectable, j’ai quitté mon poste tout en conservant une prestation de conseil que j’exerce toujours aujourd’hui.

Je n’ai jamais eu peur de travailler, j’aime apprendre et entreprendre. J’ai créé mon propre cabinet de conseil et je suis devenue administratrice indépendante pour différents conseils d’administration où je préside un certain nombre de comités. J’ai mené des missions supplémentaires pour EDF liées à l’acquisition de Framatome et la fermeture de la centrale de Fessenheim. J’ai également pris la présidence non exécutive pendant cinq ans de TDF, un opérateur d’infrastructures dans les télécommunications/médias. Par ailleurs, j’ai investi à titre personnel dans la startup DC Brain, qui permet de modéliser et d’optimiser les réseaux les plus sophistiqués utilisés dans le secteur de l’énergie ou de la logistique grâce à l’intelligence artificielle. Je les accompagne également sur leur vision stratégique.

Par la suite, j’aimerais m’engager dans un projet plus personnel : mon rêve est d’encourager les jeunes filles à s’orienter vers les sciences.

J’ai trois conseils à la future génération de femmes :

1) Ne vous sous-estimez pas !

Si l’on vous propose un poste, c’est que l’on considère que vous êtes capable de mener à bien cette mission.
Les femmes ne sont pas moins ambitieuses que les hommes mais elles sont plus modestes. Naturellement, les femmes pensent qu’elles ne vont pas y arriver. N’hésitez pas à faire savoir, avec finesse, que vous êtes prêtes à gravir les échelons !

2) L’équilibre familial est important mais vos enfants seront fiers d’avoir une mère avec une belle carrière.

Ce n’est pas toujours facile mais c’est un pari qui vaut le coup d’être pris. Aujourd’hui, il est accepté qu’une femme travaille mais lorsqu’il s’agit d’une grande carrière, il y a encore des progrès à faire.Défaites-vous de cette culpabilité !Même si les femmes ont parfois des carrières moins linéaires que leurs collègues masculins et il ne faut pas s’inquiéter de ces « pas de côté ».

3) Travailler, ne pas avoir peur se de se lancer dans de nouvelles aventures et respecter les autres.

Ces trois qualités me paraissent souhaitables pour réussir dans sa carrière. Avec ces qualités, vous serez capables réussir dans de nombreuses situations !

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Odile Renaud-Basso, directrice générale du Trésor